Le premier laboratoire que nous voulions visiter ce 20 février 2020 était celui du Dr. Julie Dumonceaux, à l’Institute of Child Health de l’University College London. Au départ de la gare de Saint Pancras, où étaient arrivés Pierre et Céline, Vincent, Sylvie et Alexandra nous avons fait une petite ballade d’une demi-heure à pieds et à roues pour atteindre le numéro 30 de la Great Ormond Street où nous attendaient Rachel et Didier. Julie est venue nous accueillir à la réception avec sa collaboratrice principale, le Dr. Virginie Mariot. Cela fait déjà quatre ans qu’elles ont quitté l’Institut de Myologie à Paris et manifestement, l’air de Londres leur convient fort bien ! Elles nous expliquent les conditions imposées par la direction pour les visites de labo : ici seulement 5 personnes sont autorisées, et Julie a dû établir un plan clair d’évacuation de ses visiteurs en cas d’incendie ! Céline et Didier nous quittent pour jouer aux touristes et nous nous mettons en route pour atteindre le laboratoire : il fallait d’abord franchir une volée d’escaliers, certes munie d’un ascenseur-plateau… mais celui-ci n’a pas résisté au poids de la « Rolls Royce » de Vincent ! Bref Virginie a conduit Pierre et Vincent sous la pluie par l’extérieur du bâtiment tandis que Julie guidait Rachel, Sylvie et Alexandra par l’intérieur avec des commentaires fascinants sur la renommée internationale de cet institut qui réalise la plupart des essais cliniques en thérapie génique sur des patients atteints de maladies neuromusculaires, à l’aide de gènes médicaments transportés par des virus AAV. Le plus connu est commercialisé à prix d’or par Novartis pour traiter les bébés atteints de SMA.
La jeune directrice de recherche nous a fait visiter son laboratoire qu’elle doit actuellement partager avec un autre groupe, mais plus pour longtemps, des locaux tout neufs les attendent dans le bâtiment voisin ! Un adorable dessin d’enfant accroché au-dessus de la paillasse et intitulé « Le laboratoire d’amour » nous envoie une salve de petits cœurs de bienvenue par-dessus les tubes de plastique bien rangés dans leurs portoirs verts ou rouges ! On passe ensuite aux choses sérieuses. Julie nous montre sur l’écran du microscope les différences entre une coupe (comme une tranche de salami) dans un muscle d’une souris saine ou dans un muscle qui exprime fortement DUX4. Cette dernière provient d’un modèle de souris transgénique développée par Peter Jones et présente des infiltrats de cellules inflammatoires colorées en bleu, des dépôts blancs entre les fibres musculaires colorées en rose qui, par endroits, sont détruites ou déformées, plus fines que sur le muscle sain.
Julie et sa petite équipe de chercheuses testent deux manières de bloquer DUX4 en culture de cellules ou chez les souris : soit des petits bouts d’ADN leurres sur lesquels la protéine DUX4 ira se lier au lieu d’aller activer ses gènes cibles, soit des petits ARNs anti-sens qui se lient à l’ARN messager de DUX4 pour causer sa destruction. Virginie nous explique qu’elle revient d’un séjour aux USA chez Robert Bloch où elle a été apprendre à greffer chez la souris des cellules de muscle humain en culture pour y constituer un petit muscle à 80% humain, connecté à des nerfs, qui peut se contracter et qui exprime DUX4 à faible niveau comme chez les patients. Dès le mois prochain, Virginie utilisera ce modèle pour évaluer leurs deux stratégies thérapeutiques.
Ensuite Julie fait le point sur la publication de son équipe qui a démontré des niveaux très faibles de myostatine chez les patients atteints de maladies neuromusculaires. La myostatine est un frein à la croissance des muscles et plusieurs médicaments en développement tentent de la bloquer pour faire grossir les muscles. Et ce qu’a trouvé l’équipe de Julie c’est que la production de myostatine est réduite chez les patients dont les muscles sont atrophiés. Donc si les patients n’ont pas ou très peu de myostatine dans leur sang, ces médicaments n’auront aucun effet ! Cette publication a eu l’effet d’une bombe dans le domaine et entrainé l’arrêt d’essais cliniques en cours par de grosses firmes pharmaceutiques. Julie propose que la myostatine dosée dans le sang soit utilisée comme un biomarqueur de myopathie : son niveau va remonter si un traitement améliore les muscles et on pourra alors administrer comme second médicament un inhibiteur de myostatine qui aidera les muscles à grossir.
Après un lunch mexicain avec Julie et Virginie, nous sommes repartis sous la pluie vers la station de métro Charing Cross juste à côté de la gare de Saint Pancras. Notre seconde visite était programmée vers 15h au laboratoire du Prof. Peter Zammit au King’s College London, juste sur l’autre rive de la Tamise par rapport à notre hôtel. Nous avons décidé de déposer d’abord nos affaires à l’hôtel à 1/2h de métro. Nous avons donc testé l’efficacité british pour les PMR dans le « tube » : le début fut parfait avec de superbes ascenseurs jusqu’au quai d’embarquement. Là est bien marquée par des stries jaunes la partie du quai surélevée jusqu’au niveau d’une voiture du métro : pas de soucis pour Pierre dont le fauteuil tout terrains a franchi sans soucis le petit espace entre le quai et la voiture. Mais pour celui de Vincent, les petites roues risquaient de tomber dans cet espace et d’y caler le fauteuil ! Il a fallu s’y reprendre à 5 fois avec l’aide d’un employé du métro pour sauter l’obstacle et monter Vincent et son fauteuil de 300 Kg dans la rame ! A la station de Tower Hill, un jeune passager sympa et costaud a donné la poussée décisive pour faire atterrir Vincent et son fauteuil sur le quai à côté de Pierre. Nous avons ensuite passé une dizaine de minutes dans un film de science-fiction, en progressant dans un boyau en acier inox brillant, pour atteindre l’ascenseur vers la surface. L’hôtel était juste à côté et après une escale dans nos chambres, nous sommes repartis à pieds et roues pour traverser la Tamise sur le London Bridge, et sommes arrivés au King’s College : accès PMR facile partout dans ce lieu historique du premier hôpital de Londres.
Peter est venu nous chercher en bas du nouveau bâtiment qui abrite son labo. A la sortie de l’ascenseur au 3ième étage une maquette de baguettes en acier qui coulissent les unes sur les autres représente les filaments d’actine et de myosine en mouvement lors de la contraction musculaire. Peter présente son équipe d’une dizaine de jeunes chercheurs, dont les 2 post-docs, Fips (surnom de Philipp Heher, un Autrichien) et Massimo Ganassi (Italien), lequel travaille en tandem avec Sébastien Szczepanski, le stagiaire de l’UMONS arrivé 3 semaines plus tôt pour clôturer sa formation de maîtrise en sciences biomédicales.
Au programme, une petite visite du labo avant une réunion où les chercheurs vont nous présenter leurs projets. Le labo parait moins en ordre que chez Julie, est-ce lié à une moindre densité de chercheuses, ou au style plus « feu d’artifice » du boss ? Mais pour le travail super propre de culture des cellules de muscles humains, on y retrouve une pièce séparée dont nous sommes exclus. Dans une autre petite salle, une chercheuse coupe des tranches ultrafines d’embryons congelés de poisson zèbres, un modèle de développement du muscle étudié dans l’équipe et qui est perturbé par l’expression de DUX4. A la demande de Fips, une chercheuse d’une autre équipe nous montre sur un écran de microscope de très jolies images de sections de muscles de souris où des protéines particulières sont marquées par fluorescence.
Nous passons à la petite salle de réunion, la table centrale chargée d’une cruche d’eau, de raisins et mandarines, de la nourriture saine à côté de paquets de chips et de cakes bien sucrés ! C’est Peter qui commence la séance avec une présentation de vulgarisation ADN, ARN, protéines … en français un peu chaotique, mais le message passe bien. Alexandra traduit les passages anglais, et ramène le topo aux vieilles habitudes de ses exposés aux Amis FSH : un gène = la recette d’un gâteau = une protéine. Très cools, tous les présentateurs suivants se mettent au même diapason !
D’abord trois chercheurs expliquent à tour de rôle comment ils poursuivent le travail pionnier de Chris Banerji (prix Patricia Sallustri 2016) qui n’est pas là, en stage clinique pour ses études de médecine. Donc Chris, mathématicien de formation, a analysé par informatique des montagnes de données publiées par différents labos sur tous les ARN messagers (= les copies des gènes/recettes qui sortent du noyau pour aller dans la cellule diriger la production de leur gâteau/protéine) et toutes les protéines détectées dans des biopsies de muscles FSHD ou contrôle, et a pu en ressortir les quelques dérégulations les plus importantes. Celles-ci concernent des gènes ou protéines qui dirigent le métabolisme des cellules, soit les différentes façons dont elles utilisent les aliments pour produire de l’énergie, plus ou moins efficacement, avec ou sans l’aide des mitochondries, et avec plus ou moins de production de dangereux radicaux libres (le fameux stress oxydant étudié par l’équipe de Dalila Laoudj à Montpellier). Parmi toute cette collection de gènes perturbés dans la FSHD, Massimo s’intéresse à ceux qui interviennent dans la formation des muscles, et Fips a choisi les gènes impliqués dans les anomalies du métabolisme. Quant à Isabella Hofer (la deuxième Autrichienne), elle se focalise sur la protéine CEPB beta, qui est un facteur de transcription (un gâteau « chef » comme DUX4) très important pour la formation de cellules graisseuses (adipocytes) et qui pourrait jouer un rôle dans le dépôt de gras dans le muscle.
Enfin les deux plus jeunes de l’équipe présentent leur projet. Israt Jahan va explorer le côté immunologique de la FSHD et en particulier le rôle des lymphocytes (globules blancs) qui entrent dans le muscle lors de l’inflammation et dont Chris a montré qu’ils exprimaient DUX4. Johanna Prueller (la troisième Autrichienne) s’intéresse à l’ensemble des protéines qui peuvent interagir avec la protéine DUX4 (l’interactome de DUX4) et à la manière dont elles peuvent contribuer à sa toxicité.
Après un dernier échange de questions et réponses, nos cerveaux fatigués se réjouissent de passer à l’étape de socialisation ! Nous partons en groupe dans les rues sombres et humides vers un pub renommé du quartier de Tower Hill, le « Hung, drawn and quartered ». Ce nom historique bizarre renvoie au châtiment horrible prescrit pour les traitres au royaume depuis le 13ième siècle : un panneau ironique sur le mur extérieur présente un texte de 1660 sur l’aspect jovial de Thomas Harrison exécuté de cette manière pour avoir signé l’arrêt de mort du roi Charles I en 1647 lors de la guerre civile dirigée par Cromwell. Mais l’endroit est très chaleureux, on y retrouve Céline et Didier, et malgré le nombre de clients, on assemble vite quelques tables et voilà les Amis FSH dispersés entre les chercheurs, partageant bières tièdes, pies délicieux et conversations bilingues ! Sébastien le jeune montois déjà bien à l’aise dans sa nouvelle équipe londonienne jongle entre les fonctions de barman, traducteur et chercheur ! Après quelques heures, la fatigue se fait sentir et on se replie progressivement vers les hôtels.
Le lendemain, après l’English breakfast, on se met en route à pieds et roues vers la gare Saint Pancras où nous avons rendez-vous avec le Dr Laurent Servais vers 13h. Ce pédiatre, spécialisé dans les essais cliniques à l’Institut des Maladies Génétiques « Imagine » à Paris, Pitié-Salpêtrière, et directeur du Centre de Référence des Maladies Neuromusculaires de Liège, vient d’être nommé professeur à la prestigieuse université d’Oxford. C’est de là qu’il arrivera en train à Saint Pancras où il nous rencontrera avant d’aller donner un séminaire à l’University College London … où nous étions hier, et où Julie Dumonceaux ira l’écouter. Il présentera les résultats quasi miraculeux des traitements de bébés atteints d’Amyotrophie Spinale (SMA) soit par oligonucléotide antisens, soit par virus-médicament AAV. Ces bébés ont un défaut sur le gène SMN1 qui devrait produire un facteur de survie des nerfs moteurs et sont condamnés à mourir avant leur première année par inactivité des muscles. Ils évoluent très bien avec ces thérapies qui permettent de produire le facteur manquant, et ce d’autant mieux s’ils sont traités très tôt. Une petite patiente de Laurent va si bien à 3 ans qu’au lieu de présenter le test classique de montée de 5 marches, il montre lors de ses conférences une vidéo où l’enfant gravit un escalier de 20 marches en portant son petit vélo sous le bras ! Le grand projet de Laurent est de mettre en place partout en Europe, comme il l’a fait en Wallonie, un dépistage de la SMA à la naissance, pour pouvoir traiter tous les bébés avant qu’ils présentent des signes de faiblesse musculaire.
A Imagine, Laurent a aussi développé avec un ingénieur d’une entreprise de géolocalisation (Sysnav) un petit appareil (Actimyo) à porter comme une montre, soit au poignet soit à la cheville, et qui enregistre très précisément tous les mouvements de patients, ce qui permet par analyse informatique d’évaluer leur mobilité dans leur cadre de vie habituel. Pour le suivi des enfants atteints de la myopathie de Duchenne, l’Actimyo a été homologué par l’agence européenne du médicament car plus fiable que le test habituel de distance parcourue en 6 minutes de marche dans les couloirs d’un hôpital. Cet appareil sera d’un grand intérêt pour la FSHD et Laurent l’a déjà testé au poignet de patients à mobilité réduite.
Après cette agréable conversation avec Laurent, nous nous sommes séparés, il était temps de reprendre trains ou avion vers le continent !
J’oublie de vous raconter un épisode de notre voyage, avant le rendez-vous avec Laurent : pour éviter le traumatisme du métro, nous avions décidé d’aller à pieds et roues de Tower Hill vers Saint Pancras, un trajet évalué à environ 1 heure 1/2. Mais entre les papotes, les monuments et autres surprises à photographier, les détours pour accéder aux pentes carrossables vers les trottoirs, nous nous sommes retrouvés dans le quartier très sympa d’Islington, à l’heure où un petit marché de tas de trucs comestibles internationaux avait envahi Exmouth street et cela nous a méchamment creusé l’appétit ! Nous avons craqué pour un lunch dans un pub/resto « so British » (Exmouth Arms) : fish and chips, ou hamburgers vrais de vrai ! Et incroyable, par la fenêtre nous avons vu passer Chris Banerji parmi les employés qui venaient se ravitailler au petit marché ! Malheureusement il ne nous a pas vus. Bref en sortant de là il était bien tard : Pierre et Vincent ont mis le turbo et sont partis en éclaireurs rencontrer Laurent à Saint Pancras, pendant que les autres attendaient de prendre un bus rouge à impériale (repéré par Didier et Rachel) dans la même direction !
